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La logistique peut-elle faire « grandir » les circuits courts alimentaires ?
Synonyme de contraintes mais aussi d’opportunités, la ville peut permettre aux circuits courts se développer de façon significative dans un espace concentré. Dimensions multiples, diversité des territoires qu’elle relie (de l’espace agricole à l’espace urbain) et des activités qu’elle regroupe (manutention, stockage, préparation, livraison…), la logistique, trop souvent considérée comme un obstacle, doit constituer un levier pour les circuits courts et recomposer les approches de l’ensemble des parties prenantes. Décryptage.
Ces dernières années, la prise en compte de la logistique urbaine a connu un fort essor, tant dans les politiques publiques que dans les médias. La croissance fulgurante de l’e-commerce (avec des externalités négatives bien identifiées : explosion des flux logistiques non planifiés, controverse des dark stores…) a précipité une prise de conscience : la logistique est indispensable pour l’approvisionnement des villes.
La montée en puissance des enjeux sanitaires, environnementaux et climatiques en ville (lutte contre la pollution atmosphérique, volonté de piétonnisation et « d’apaisement » des centres-villes…) conforte par ailleurs cette nécessaire prise de conscience : une organisation maîtrisée et durable de la logistique, vitale pour l’évolution de nos villes. En parallèle, le développement des circuits courts émerge comme un enjeu important des politiques publiques alimentaires. Plusieurs lois et applications à l’échelle des collectivités favorisent le déploiement dans les territoires de ces circuits.
La logistique urbaine : à la fois problème et solution des circuits courts
Mettre en parallèle l’évolution politique des secteurs de l’alimentation et de la logistique permet de penser des solutions adaptées aux circuits courts pour faciliter l’acheminement de produits en centre-ville tout en garantissant la viabilité économique, l’efficience et la durabilité de cet acheminement. Il convient donc de penser une logistique urbaine adaptée aux circuits courts et, inversement, des circuits courts capables de se saisir de la question logistique.
Cette notion d’adaptabilité est particulièrement prégnante en matière de logistique des circuits courts : faut-il adapter les circuits courts aux modèles logistiques de la grande distribution ou penser de nouveaux modèles taillés sur mesure pour les circuits courts ? Réductrice, cette question a cependant le mérite de rappeler l’existence d’une logistique ultra-structurée. Une logistique de la grande distribution, caractérisée par une séparation physique et organisationnelle des lieux et des activités logistiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement et jusqu’en cœur de ville. Un modèle auquel les circuits courts n’ont qu’un accès réduit.
Il s’agit donc de mettre en rapport la programmation alimentaire, levier important de déploiement de filières en circuits courts (comme le montrent les objectifs fixés par la région Île-de-France de 100% des cantines des lycées approvisionnées par des circuits courts) et la planification logistique. Cela implique de sécuriser l’accès tant à des espaces logistiques qu’à des solutions de transport adaptées, en accompagnant la structuration des acteurs émergents, bref, en optimisant la rencontre entre ces offres et les consommateurs finaux.
■ Mettre en parallèle l’évolution politique des secteurs de l’alimentation et de la logistique permet de penser des solutions adaptées aux circuits courts pour faciliter l’acheminement de produits en centre-ville tout en garantissant la viabilité économique, l’efficience et la durabilité de cet acheminement.
L’infrastructure logistique : organiser les circuits courts dans l’espace urbain
Dans le panorama des infrastructures urbaines, l’immobilier logistique est un objet tout à fait particulier, qui ne se résume pas qu’à des fonctions d’entreposage. Il constitue un support essentiel à la chaîne logistique dite des derniers kilomètres, en ce qu’il permet d’opérer les nombreuses tâches associées à la distribution, et, dans le cas qui nous intéresse, la distribution en circuits courts. Pour être le plus adapté possible aux activités qu’il accueille, il doit réunir plusieurs caractéristiques.
La première : l’accessibilité, qui dépend à la fois de sa localisation au sein d’un territoire, de sa connexion aux axes de transport et de sa configuration in situ. Si l’accessibilité routière constitue un point névralgique, le rattachement aux axes de transport ferroviaire et fluvial est également important dans un contexte de décarbonation des flux et de transition énergétique, et particulièrement pour (re)connecter certains pôles métropolitains avec leurs bassins productifs.
La dimension de l’infrastructure en revanche, deuxième considération essentielle pour l’immobilier logistique, doit être appréhendée de manière spécifique pour les circuits courts. Tant les politiques publiques que les pressions sur le développement immobilier en zone urbaine dense ont généré un desserrement logistique avec la relocalisation des fonctions logistiques hors des centres urbains et le développement de grandes infrastructures logistiques (plus de 10000 m²) en périphérie de plus en plus éloignée des villes. Or l’échelle des circuits courts ne correspond pas à celle d’entrepôts de plusieurs centaines voire milliers de mètres carrés. Ils n’en ont pas la capacité, tant en termes de volumes d’activités, s’agissant d’acteurs opérant souvent à des échelles réduites, que parce que les loyers logistiques, à alléger, restent élevés pour les acteurs des circuits courts.
Comment surmonter ces deux obstacles et permettre aux circuits courts de se saisir des infrastructures logistiques qui leur ouvriront l’accès aux bassins de consommation urbains ? Outre le développement d’une offre de plus petite échelle, une solution semble émerger, déjà étudiée depuis quelques années par des chercheurs dans le domaine de la logistique et même favorisée par les évolutions législatives dans le domaine du transport : la mutualisation, ici entendue comme le partage d’espaces logistiques par plusieurs acteurs des circuits courts.
Dans le transport, les agriculteurs ont depuis plusieurs années le droit de transporter, en plus de leur production, celle d’autres agriculteurs. Il s’agirait ici d’appliquer le même modèle à un espace logistique, en permettant à plusieurs acteurs de partager un espace logistique au moyen d’une division de l’espace et donc des coûts. Loin de constituer une réponse universelle, la mutualisation présente l’intérêt de repenser le modèle organisationnel et économique de l’espace logistique. Son déploiement nécessiterait une adaptation des acteurs de l’immobilier logistique et de la conception des espaces d’entrepôt mais aussi la recherche de nouveaux modèles économiques et contractuels facilitant l’accès d’acteurs moins robustes, avec une possibilité d’associer, en un même lieu, diverses activités et différents niveaux de loyers.
Enfin, la mutualisation au sein d’un espace logistique fait émerger de nouveaux acteurs « tiers gestionnaires », capables de gérer une pluralité d’utilisateurs d’une infrastructure unique, voire de prendre en charge la production et les tâches logistiques associées. À la clé, une massification de la production et la distribution en circuits courts sur un territoire. Il faut veiller cependant à ne pas perdre l’essence même du circuit court en réintroduisant les intermédiaires qui en sont par définition absents. Il s’agit surtout de repenser les métiers et rôles qui entourent l’infrastructure logistique, afin qu’elle puisse accueillir au mieux la production en circuits courts et favoriser sa distribution optimisée en milieu urbain.
■ Loin de constituer une réponse universelle, la mutualisation présente l’intérêt de repenser le modèle organisationnel et économique de l’espace logistique.
Le maillage logistique : organiser les circuits courts dans leurs territoires
L’ infrastructure logistique dialogue donc avec des infrastructures de transport et des modèles logistiques, avec comme problématique majeure la maîtrise spatiale des flux, condition d’intégration pérenne dans les territoires. On peut ainsi considérer le maillage logistique comme l’ensemble des lieux et points qui couvrent un territoire et sont organisés en réseau, reliés par des flux. Ces lieux sont hiérarchisés dans leur utilisation. Appréhendé par le prisme des circuits courts, ce maillage doit permettre, en amont de la chaîne logistique, de massifier la production si elle provient de plusieurs lieux et, en aval, de répartir les flux afin de distribuer le bassin de consommation via des lieux de vente ou des services de livraison. Entre cet amont et cet aval, en fonction de la distance et de la nature des produits, d’autres lieux de massification ou de transformation peuvent s’avérer nécessaires.
On le comprend de mieux en mieux : en se concentrant sur les circuits courts en milieu urbain (c’est-à-dire en excluant la vente directe à la ferme), le modèle logistique des circuits courts n’existe pas, notamment du fait de la grande diversité des circuits courts et de leurs modèles de distribution. Dès lors, c’est un maillage réfléchi et maîtrisé qui peut permettre de déployer sur un territoire une organisation logistique efficiente du producteur au consommateur. Faire le lien entre modèle logistique et maillage logistique pour les circuits courts, c’est se demander si les modèles logistiques de ces circuits doivent s’adapter au maillage existant (bien qu’incomplet) ou bien si le maillage logistique doit se (re)penser à l’aune de nouveaux modèles.
Pour les circuits courts, ce maillage logistique ne nécessite pas forcément la construction de nouvelles infrastructures car il existe déjà des lieux permettant la distribution de l’alimentation dans les villes. L’exemple le plus connu en est le marché d’intérêt régional (MIN) de Rungis, haut lieu de la logistique alimentaire de la région parisienne. Il existe à Rungis un « carreau des producteurs », où ceuxci peuvent vendre directement leurs produits à des restaurateurs. D’autres espaces logistiques, souvent pensés initialement pour les chaînes longues, s’ouvrent aux producteurs et permettent une simplification de la distribution logistique. Dans les métropoles dépourvues de MIN, plusieurs acteurs des circuits courts prônent la création de ces marchés réservés aux professionnels de l’alimentation à la porte de grands bassins de consommation.
L’idée est évidemment pertinente, mais il faut mesurer sa portée : le « carreau des producteurs » représente 14 % de la vente des fruits et légumes du MIN de Rungis, et on ne constate pas une progression significative de cette part dans le temps. Si ce type de solution répond à une partie des besoins de la filière, elle ne suffit pas à les couvrir en totalité. Ouvrir les infrastructures logistiques des circuits longs aux circuits courts tout en pensant des infrastructures dédiées : seule cette solution nuancée semble à même d’apporter des réponses adaptées et diversifiées aux contraintes logistiques des circuits courts. Car si certains acteurs s’affirment en proposant d’ores et déjà des infrastructures dédiées aux circuits courts, ces innovations, conçues sur mesure, cherchent encore leur marché et un modèle économique attractif.
■ Faire le lien entre modèle logistique et maillage logistique pour les circuits courts, c’est se demander si les modèles logistiques de ces circuits doivent s’adapter au maillage existant (bien qu’incomplet) ou bien si le maillage logistique doit se (re)penser à l’aune de nouveaux modèles.
Les parties prenantes : organiser l’écosystème des circuits courts
Les parties prenantes d’un projet, ou dans notre cas de la logistique des circuits courts, peuvent être définies comme « un individu ou un groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ». Cette définition s’applique particulièrement bien à l’enjeu qu’est la rencontre entre la logistique et le développement territorial et urbain. S’intéresser aux parties prenantes c’est donc s’interroger sur le rôle que doit jouer chaque acteur pour soutenir la logistique des circuits courts, et plus généralement pour soutenir le déploiement d’infrastructures logistiques permettant le développement de chaînes logistiques efficientes.
La puissance publique peut actionner deux leviers pour soutenir, à défaut de pouvoir organiser elle-même, les chaînes logistiques des circuits courts. Le premier réside dans l’identification et la protection des gisements d’espaces logistiques, notamment dans les espaces urbains denses, où la rareté du foncier disponible a pour effet premier l’augmentation des loyers et donc l’éviction des centres-villes des acteurs les moins compétitifs. De nombreux territoires urbains n’intègrent pas la logistique à leur plan local d’urbanisme et ne sont pas favorables à ces infrastructures, sachant que tout espace dense a besoin d’une infrastructure organisant la desserte des marchandises et que les projets logistiques développés avec les collectivités sont le plus à même de servir les habitants. Le second levier relève, lui, de l’aide financière aux acteurs des circuits courts pour leur installation et les potentiels travaux d’aménagement et équipements nécessaires à une exploitation optimale des espaces logistiques. Il s’agit ici de promouvoir l’installation de ces circuits courts tout en prenant en compte la question logistique.
Au-delà de ces leviers, et loin de prôner une approche descendante, un facteur incontournable de succès réside dans le fait de penser un dialogue entre les opérateurs et les décideurs publics. L’objectif est d’intégrer dans ces réflexions l’intégralité des parties prenantes de la chaîne logistique des circuits courts alimentaires, du producteur et à l’acheteur final, en passant par les transporteurs, les groupes de distributions des restaurations scolaires et collectives, les professionnels du commerce alimentaire et de la restauration, etc. On peut donner l’exemple de l’Appel à Manifestation d’Intérêt de la Banque des Territoires remporté par la Ville de Paris et d’un consortium (regroupant territoires, foncière logistique, réseau de producteurs) nommé « Seine Nourricière ». (Opération soutenue par l’Etat dans le cadre du dispositif « Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires » de France 2030, opéré par la Caisse des Dépôts.)
Au-delà de l’objectif premier de proposer un démonstrateur territorial des transitions agricoles et alimentaires, il s’agit de regrouper les différents acteurs du territoire, de la production alimentaire et de la logistique, afin de créer ensemble des systèmes de distribution efficients. Même si la logistique n’était pas ciblée précisément dans l’Appel à Manifestation d’Intérêt, la réponse du consortium insiste sur l’importance de prendre en compte la logistique pour développer ce système.
L’Appel à Manifestation d’Intérêt de la Banque des Territoires « Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires » et surtout la réponse du consortium organisé autour de la Ville de Paris est un bon exemple de la volonté de rassembler autour de la table les acteurs à la fois institutionnels, les collectivités, les opérateurs immobiliers mais également des transporteurs et logisticiens pour proposer des modèles d’organisation logistique viables pour les circuits courts alimentaires. Cet appel au dialogue vise tous les jalons territoriaux, depuis l’échelle européenne jusqu’au niveau le plus local. Les opérateurs gestionnaires comme développeurs d’espaces logistiques doivent également prendre connaissance et conscience de ces « nouveaux clients » dans la logistique, et être acteurs à part entière de ces échanges.
■ Alternatifs ou complémentaires aux autres modèles de distribution alimentaire, les modèles des circuits courts en ville ne pourront se pérenniser à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs sans penser le maillon urbain de cette logistique. Dès lors, il convient de se représenter la logistique urbaine comme un phénoménal levier et un enjeu incontournable de développement, pour soutenir des infrastructures et des organisations qui restent à imaginer et à pérenniser. En parvenant à aligner la vision des acteurs directs comme indirects de ces modèles.
Crédit photo : Studio des 2 prairies
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